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vendredi 10 juillet 2015
Patrick Roger. Dans le monde fermé des chocolatiers, on dit de lui que c’est un enfant terrible… Une grande gueule sans aucun doute. Mais terriblement talentueux. Au milieu de ses sculptures grandeur nature, il virevolte, chocolat à la main, pour réaliser ce que lui inspire son imagination. Artiste et chef d’entreprise, le maître chocolatier, meilleur ouvrier de France en 2000, possède neuf boutiques en France et en Belgique. Portrait de cet amoureux du chocolat, pour qui la gastronomie française est un art. (interview du 15 janvier 2013)
Son laboratoire est situé dans la banlieue pavillonnaire de Sceaux. Dans la ville où il a commencé il y a plus de 10 ans. On y accède par une petite ruelle un peu perdue, dont l’air respire la campagne. Devant le bâtiment, une ancienne imprimerie aménagée en atelier, des camionnettes couleur turquoise et chocolat se préparent à la livraison. Derrière les grandes portes noires de l’immeuble, une odeur chaude et familière : celle du chocolat chaud, qui embaume chaque recoin de l’immense salle de fabrication. Plus loin, des ouvriers s’affairent à mettre la production en boîte, derrière de grandes vitres transparentes. Au fond de l’entrepôt, Patrick Roger, lui, est en pleine création.
Le hasard de l’artiste …
Artiste ? Patrick Roger n’assume pas encore ce titre. Pourtant, il est passé maître dans l’art des sculptures monumentales de plusieurs mètres de haut, voire de plusieurs tonnes ! On découvre ainsi dans l’atelier une mare où nagent plusieurs hippopotames, ou encore de grandes têtes de gorilles effrayantes. C’est au milieu de cette jungle que Patrick Roger prépare de nouvelles sculptures pour la Saint-Valentin. Dans quelques semaines, elles siègeront dans les vitrines de ses magasins. « Ca demande de la précision et de l’exigence… il faut être excellent ! »
Une excellence qui n’a pas toujours fait partie de son quotidien. « A l’école, j’étais un vrai cancre. Le dernier des derniers. J’ai pas eu mon BEPC, comme les trois quarts de la classe. De là, on nous a pas demandé notre avis : on nous collé direct en CAP « , se souvient le chocolatier, qui ne mâche pas ses mots. La pâtisserie, il y est donc arrivé, non par passion mais « parce qu’on l’a mis là « .
Le rythme y est dur. « On se lève super tôt, on bosse comme des dingues « . Mais c’est ce qui va « lui sauver la vie. » En deux ans, il passe de dernier à deuxième de la classe. « Je suis sorti deuxième meilleur apprenti sur 100, mais c’est parce que le premier était le chouchou du prof « , ironise-t-il. De là, il est repéré par un traiteur parisien, qui l’embauche. « J’ai pris le poste de pâtissier à 18 ans. Je n’étais pas mauvais mais ça ne m’intéressait pas plus que ça « . Faire les mêmes gâteaux toute la journée, « ça le gonfle « . Du coup, on le met en chocolaterie, « la voie de garage « . Et là, c’est la révélation. « J’ai découvert le chocolat. J’ai vu tout ce qu’on pouvait faire. Avec cette matière, je pouvais tout construire . »
… et le succès du chocolatier
Au départ, il chauffe, moule, mélange, crée, apprivoise le chocolat depuis la cuisine parentale, en Normandie. « Je m’installais sur la table de la cuisine. J’ai dû fabriquer des centaines de kilos de chocolats ! Et comme mes parents avaient une petite boulangerie, on les revendait là. Ca marchait vachement bien ! »
Chez le traiteur parisien qui lui a donné sa chance, il ne restera que deux ans. C’est là qu’il y fait ses premières sculptures. « Des toutes petites au début. Il faut bien commencer. » Il se souvient d’avoir travaillé pour Gainsbourg, Yannick Noah, Jean-Paul Gaultier. « Pour un de ses défilés, j’avais réalisé des sculptures de Père Noël en forme de puzzle. Il fallait être hyper précis ! » Ca tombe bien. Même si en mathématiques, il était « nul « , les proportions géométriques, il « maîtrise « . Grâce à la prof de maths qui était « pas mal proportionnée « , rigole-t-il.
C’est en 1997 qu’il ouvre sa première boutique à Sceaux. Il y propose les chocolats qu’il a inventés dans la cuisine de ses parents. En quelques mois, il compte déjà les clients par centaines. « J’ai eu la reconnaissance du grand public avant celle de mes pairs « . Mais celle-ci ne tarde pas à arriver. En 2000, il devient Meilleur Ouvrier de France, une distinction qui a « couronné [son] travail à cet instant précis, mais qui n’a rien changé à [sa] façon d’être » souligne-t-il. En 2004, il ouvre sa deuxième boutique. Aujourd’hui, il en possède neuf.
L’artisan chef d’entreprise …
Spatule en main, affairé à verser du chocolat dans un moule en forme de vague, Patrick Roger, mène aujourd’hui son entreprise avec une poigne de fer. « J’ai mis le temps mais j’ai fini par devenir ce pour quoi je suis fait : chef d’entreprise. » Il voulait « être libre « , « libre d’utiliser les meilleurs produits du monde. »
Son entreprise compte au total une trentaine d’employés, dont une dizaine de chocolatiers. « Le côté vente, les magasins, c’est ma sœur qui s’en occupe. Moi j’y comprends rien « . Lui, gère la qualité et la création des sculptures et chocolats. « Je veux les meilleures fèves de cacao « . C’est pourquoi il visite une quarantaine de pays dans le monde, pour partir à la rencontre des producteurs locaux et trouver les perles rares.
Côté qualité, il s’appuie également sur un panel de choix … dans le potager situé à côté de son atelier ! Dame Nature lui fournit toutes les herbes aromatiques dont il a besoin (menthe, thym, basilic, etc). « Zéro conservateurs ! »
Aujourd’hui, près de 50 000 chocolats sortent chaque jour des ateliers de Patrick Roger. Soit plusieurs dizaines de tonnes par an. Et tout est fabriqué à la main.
Dans une première salle, où baigne une douce chaleur, des chocolatiers s’affairent à créer de petits personnages en pâte d’amande. Les yeux, la bouche, le chapeau. Un vrai travail de précision. A côté, ils sont deux à recouvrir, d’une fine couche de chocolat, des plaques entières de praliné. Ils les découpent ensuite en petits cubes avant de les placer sur un tapis roulant qui les emmène sous une fontaine de chocolat.
A l’autre bout du tapis, dans une salle où la climatisation est au maximum, les chocolats sortent, prêts à être emballés. « Surveillez la température les gars ! » s’écrie le maître des lieux. « C’est essentiel pour dompter le chocolat. »
… Mondialement connu.
Pour cet amoureux de la gastronomie française – « c’est ce qu’il y a de meilleur au monde ! » – le métier de chocolatier est un sport de combat. « C’est comme le FC Barcelone, il faut être résistant et avoir moins de 30 ans pour tenir le rythme. » D’ailleurs, « j’ai beau manger du chocolat toute la journée, je ne grossis pas ! » ajoute-t-il en rigolant.